Inter-médiés : comment est né le projet d’accompagnement des riverains et des agriculteurs sur la question de la transition agroécologique et des pesticides ?
Myriam Bacqué : en 2018, le CHU de Poitiers lançait une alerte, relayée par l’association Avenir santé environnement (ASE), pour informer le grand public de la recrudescence des cancers pédiatriques en Charente-Maritime.
Dès 2021, la communauté d’agglomération de La Rochelle et la Chambre d’agriculture de Charente-Maritime répondait à un appel d’offres de la DREAL Nouvelle Aquitaine concernant les “initiatives locales visant à la réduction des expositions de la population aux pesticides agricoles ».
Le projet visait à initier une stratégie territoriale et un programme d actions concertées, pour diminuer l’utilisation des produits phytosanitaires en périphérie de zones urbanisées et accompagner les acteurs par une meilleure connaissance des pratiques et de leur impact sur la santé, ainsi par une meilleure visibilité du risque. Une fois l’appel d’offres gagné par la CDA, cette dernière a préféré confier l’action médiation inscrite dans le programme d’action à la Maison de la communication, centre rochelais indépendant, pour mener de façon neutre et professionnelle ce processus amiable.
Quel était l’objectif principal de la médiation à court et moyen terme ?
D’emblée, il nous a semblé opportun de qualifier ce processus de médiation de projet et non de conflit. En effet, il était question de “faciliter le dialogue entre riverains et agriculteurs sur les pratiques agricoles en campagne rochelaise ».
L’objectif premier était donc la rencontre et l’établissement d’une communication directe entre riverains et agriculteurs, avec les élus et l’association ASE, sur ce sujet sensible. Du moins, voila ce que la médiation préconisait.
Cependant, il s’est rapidement avéré que l’association ASE et la majorité des élus concernés souhaitaient que la médiation aboutisse à une reconnaissance de la fin des pesticides, en accord avec les riverains.
A contrario, les agriculteurs voulaient exprimer leurs inquiétudes, leur mécontentement d‘être montrés du doigt comme des “empoisonneurs” et leur difficulté à vivre sereinement de leur métier.
On ressentait une forte charge émotionnelle et la dissonance entre les attentes et objectifs des uns et des autres, a représenté l‘une des difficultés majeures de la médiation.
In fine, l’objectif partagé a été d’instaurer un dialogue sécurisé afin de faire émerger des pistes de solutions à court et moyen terme, dont celle de pérenniser cet espace de dialogue entre les parties prenantes.
Quelles sont les particularités de ce type de médiation ?
MB : D’une part, cette médiation de projet inédite en matière environnementale interroge la posture éthique du tiers médiateur sous trois angles :
L’indépendance, tout d’abord : il était clairement délicat de se sentir parfaitement indépendant au regard d’enjeux de santé publique d’une telle importance, alors que la médiation se tenait sur notre lieu de vie et d‘exercice professionnel. Comment également rester détendu face a certains propos d’élus qui souhaitent maitriser le résultat de la médiation avant même qu’elle ne commence ?
La confidentialité, enfin : la pression médiatique s’est montrée forte pendant toute la médiation, avec de nombreux articles dans la presse locale et nationale qui perturbaient les parties prenantes, surtout les agriculteurs. La CDA a tenté d’assurer une communication transparente en organisant deux conférences de presse durant lesquelles j’ai été amenée a expliquer le processus de médiation. De façon pédagogique, je valorisais l’aspect amiable de cette procédure et les points communs entre les parties prenantes, quand les journalistes préféraient souligner ce qui les opposaient. Les trains qui arrivent a l’heure intéressent manifestement moins la presse…
La neutralité, ensuite: cette médiation questionnait les problématiques environnementales et de santé, notamment pour les enfants. Or, les médiateurs sont aussi des citoyens et des parents. De mon point de vue, les enjeux de santé publique liés à l’alimentation, à la qualité de l’air et de l’eau, ne peuvent donc pas les laisser indifférents.
D‘autre part, cette médiation collective a présenté de réelles singularités. Sur le volet purement organisationnel de la médiation, il a fallu tirer au sort les riverains sur les listes électorales, afin de compléter l’appel à volontaires lancé par la CDA. Cela fut donc techniquement lourd, de parvenir a constituer la partie “riverains”.
Quant à la sélection des associations environnementales, il a été épineux d’en conserver uniquement une — l’ASE — et d’écarter toutes les autres qui désiraient participer. Nous avions pris l’option de choisir les parties selon des critères géographiques, lies aux cinq communes concernées par ce projet.
Enfin, coté agriculteurs, il fallait avoir autant d’adeptes du bio, que d’exploitants conventionnels, alors que les partisans du bio étaient bien moins nombreux sur le territoire, ce qui rendait difficile un traitement équitable.
Un autre défi de taille portait sur le nombre important de participants : avec une centaine de personnes invitées, une logistique importante a du être mise en place, nécessitant la mobilisation d’une équipe de seize médiateurs au total.
Trouver un lieu neutre n’a pas non plus été chose simple, car il fallait disposer de plusieurs salles d’une grande capacité d’accueil. II a donc été nécessaire de déployer une vraie logistique, que la CDA a heureusement prise en charge financièrement et techniquement, en acceptant de louer des espaces connus du grand public.
Une difficulté supplémentaire a concerné la place des experts dans la médiation.
Les riverains réclamaient une information objective sur la dangerosité des pesticides notamment et pensaient que ce processus répondrait à leur besoin d’information. Or, nous n’avions pas la possibilité de faire s’exprimer longuement les experts pendant le temps de la médiation. Ils sont donc intervenus a minima, ce qui a légitimement déçu les riverains.
Enfin, l’ultime difficulté, et non des moindres, aura été de faire accepter aux élus que, dans ce type de projet, il est indispensable de ne pas se focaliser sur le résultat, car personne ne peut leur garantir la réussite de la médiation !
Le dialogue a-t-il été facile à instaurer ?
Nous sommes parvenus à créer un réel espace de dialogue, notamment avec des réunions préparatoires où chacune des parties prenantes travaillait dans des conditions identiques, en remplissant un questionnaire commun pour recueillir leurs ressentis, besoins, attentes, ainsi que les éventuelles pistes de solutions. Les médiateurs ont également fait le choix, lors des plénières, d’installer de petites tables, pour que les parties aient chacune un médiateur à leur côté et que les intervenants soient au maximum dix à échanger autour d’une table, ce qui leur a vraiment permis de débattre.
Toutefois, il y a eu des insatisfactions, notamment lorsqu’il a fallu réfléchir aux solutions pour l’avenir. Les riverains, les élus et l’ASE avaient de fortes attentes. Or, nombre de solutions ne dépendaient pas des acteurs eux-mêmes, mais des parlementaires français et/ou européens. Le fait de ne pas pouvoir agir localement pour la fin des pesticides a créé un sentiment de frustration.
Avez-vous rencontré des situations compliquées à gérer et des obstacles à contourner ?
La seconde réunion plénière s’est tenue en pleine mobilisation nationale contre la loi sur la réforme des retraites. Généralement, le médiateur doit arriver sur place, serein et en avance, mais, en l’espèce, j’ai mis plus de 2 heures pour parcourir à peine 4 kilomètres. De plus, nombre de participants n’ont pas pu rejoindre l’espace des congrès réservé, ce qui nous a fait perdre des médiés. Tout a été bouleversé dans notre organisation, et il nous a fallu une bonne dose de patience pour maintenir le cap de la plénière.
Par ailleurs, pendant ce temps long des neuf mois de médiation, nous avons connu localement des manifestations, tant de la part des agriculteurs que des membres d’ASE rejoints par certains élus. Il y a également eu des violences et des intimidations, notamment à l’encontre d’élus ou de militants écologistes. J’ai alors éprouvé le sentiment que nous étions plutôt repartis en arrière dans la capacité d’écoute et de respect des uns vis-à-vis des autres.
Le résultat était il à la hauteur des attentes, et le consensus trouvé assez satisfaisant ?
En l’occurrence, comme il s’agissait de faciliter le dialogue entre les parties sur les pratiques agricoles, l’essentiel était de parvenir à maintenir la relation et les échanges après la médiation.
La principale réussite : la création d’un comité de suivi des solutions piloté par la communauté agglomération de La Rochelle, ayant la même configuration que la médiation, soit avec les représentants délégués des quatre parties prenantes actuelles. Le plus difficile pour les différents acteurs était d’accepter de lâcher prise sur le résultat immédiat, dans la mesure où la transition agroécologique ne peut découler d’une seule médiation. Il a ainsi fallu rappeler que notre travail consistait seulement à assurer les conditions du dialogue et non pas à trouver des solutions miracles sur les pratiques agricoles.
Néanmoins, je peux témoigner que les échanges continuent aujourd’hui grâce à la CDA, qui organise des rencontres régulières et a repris la vingtaine de solutions locales ayant émergé lors de la médiation.
Préconisez vous cette démarche dans les questions liées à l’environnement auxquelles nous faisons face aujourd’hui ? La médiation peut-elle être une réponse aux défis qui nous attendent et, si oui, dans quelle mesure ?
Bien évidemment, elle apparaît comme une réponse adaptée aux difficultés environnementales auxquelles la planète et ses habitants doivent faire face. Je pense en effet que la médiation environnementale a de l’avenir, car elle complète les dispositifs actuels de dialogues territoriaux et de concertation.
Il est très intéressant de faire intervenir des médiateurs garantissant le dialogue de façon sécurisée, démocratique et égalitaire entre toutes parties. Il existe aujourd’hui tellement de blocages sur l’implantation des éoliennes, la gestion eau et le respect de la biodiversité végétale et animale qu’il est indispensable de prévoir des dispositifs pacificateurs et collaboratifs, comme le processus de médiation le permet. Il s’agit de défis écologiques à relever pour l’avenir de notre planète que les médiateurs peuvent et doivent accompagner! Toutefois, ils doivent impérativement apprendre à connaître les spécificités de la médiation environnementale et de la médiation de projet, qui nécessitent formation, expérience et compétence.
De leur côté, les élus doivent mettre de côté leur obsession du résultat et les citoyens comprendre qu’une médiation environnementale s’inscrit dans un temps long où chacun devient un acteur responsable, vecteur de paix sociale.
Propos recueillis par Joëlle DUNOYER, médiateure. Revue INTER-médiés n°14.